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Un extrait du "Florentin de Beaune"

 

(...) Amsterdam, le 4 février :

 

Shargo et moi avions convenu de nous retrouver sur la place Oude Kerk. En Amstellodamoise avisée, j’avais emprunté une bicyclette pour m’y rendre.

- Oude Kerk signifie « vieille église » en néerlandais, m’expliqua-t-il. Comme son nom l’indique, cette église est la plus vieille de la ville. Il parait qu’elle a été commencée vers l’an 1300 !

- Tu es hollandais ? lui demandai-je tout en scrutant l’univers glauque qui m’entourait. Tu as un petit accent…

- Par ma mère, me sourit-il. Mon père était parisien…

J’avais à peine entendu sa réponse tellement les sollicitations d’ordre visuel étaient nombreuses. Nous nous trouvions en plein cœur du célèbre Quartier Rouge d’Amsterdam, l’un des seuls lieux en Europe où la prostitution restait légale.

- On n’aurait pas pu se retrouver dans un autre endroit ? lui fis-je remarquer.

- C’est typique ici, tu ne trouves pas ?

- Sordide tu veux dire…

Mon visage ne parvenait pas à se départir de la moue de dégoût que j’avais manifestée en imaginant ce qui se passait derrière les dizaines de portes vitrées illuminées par des néons rouges ou violets.

- Quand la fille est avec son client, m’expliqua-t-il alors que je n’avais rien demandé, le rideau est tiré. Sinon, elle est en vitrine. Il n’y a plus qu’à faire son choix.

- Comme au supermarché ! m’entendis-je dire par dépit.

Le spectacle offert par ces jeunes femmes en sous-vêtements prenant des poses lascives dans le seul but d’attirer le client m’attristait. Quant aux allées et venues des hommes à l’échine courbée, presque tous vêtus de manteaux sombre comme s’ils cherchaient à se fondre dans la foule, cela m’effrayait. Y avait-il tant d’hommes sur Terre qui avaient besoin d’assouvir leurs désirs sexuels avec des prostituées ? Shargo, pour sa part, ne semblait même pas – ou plus ? – remarquer ces femmes blondes, brunes, rousses ou châtain qui, bien au chaud derrière leur porte vitrée sur lesquelles un écriteau indiquait invariablement kamers te huur(73) exhibaient leur corps comme s’il s’était agi d’un vulgaire outil de travail.

- La prostitution existe depuis la nuit des temps, me lança Shargo. Elle a été inventée en même temps que la guerre, la justice ou l’écriture.

Ses tirades pseudo-philosophiques me laissèrent de marbre.

Nous longeâmes le canal avant de bifurquer sur Dollebegijnensteeg, une ruelle dont la largeur n’excédait parfois pas un mètre cinquante. J’éprouvai la plus grande difficulté à retenir des hauts le cœur. Contrainte de passer au plus près des vitrines, mon regard ne put s’interdire de jeter un œil voyeur à ces pauvres filles cantonnées sous leur néon rouge.

Roxanne, you don't have to put on the red light(74)

Il y en avait pour tous les goûts et tous les âges – voilà que je me mettais à parler comme Shargo ! – et, le plus incroyable dans l’affaire, était que certaines d’entre elles s’avéraient de véritables beautés.

- Les filles viennent, la plupart du temps, des pays de l’est. Russie, République Tchèque, Kazakhstan… Là, c’est Amira la Roumaine et ici Vicky, une Hongroise. Elles sont bien ici.

- On dirait que tu les connais bien ! balbutiai-je en ayant de plus en plus envie de vomir.

Comprenant qu’il était inutile d’insister, Shargo cessa d’essayer de me convaincre que le fait d’aller voir les prostituées s’assimilait à un acte humanitaire. Parvenus enfin à l’extrémité de cette ruelle d’enfer, nous nous apprêtions à retrouver le canal quand l’une des portes vitrées s’ouvrit juste devant notre nez. Un homme en sortit en trombe pendant que la fille – une brune grande et filiforme – s’était mise à sourire en rajustant son string. Des odeurs d’encens et une douce musique indienne s’échappèrent de la pièce aux murs colorés par des lumières fluorescentes vertes.

- Nous sommes arrivés, m’annonça enfin Shargo. Le Bulldog. C’est ici que nous avons rendez-vous avec Hans Schenker. (...)



(73) Traduction du néerlandais chambre à louer indiquant aux clients qu’ils avaient bien à faire à une prostituée patentée…

(74) Roxanne, tu n’as plus besoin d’allumer le néon rouge. Traduction de la chanson du groupe Police (1978) qui évoque la vie des prostituées.

 

Le Florentin de Beaune, chapitre 28

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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