(...)
Aussi décidai-je de
profiter de l’après-midi pour prendre le pouls de cette glorieuse ville en
déambulant au gré de mes envies et du hasard. Animé d’un sentiment de liberté
totale et adoptant la précaution d’éviter la pratique de la langue française –
Francesco m’avait prévenu que les sujets du roi François étaient considérés
comme des barbares et des envahisseurs – j’entamai ma promenade par la basilique
saint Marc dont j’admirai la façade ornée du merveilleux quadrige ramené de
Constantinople(81). Ma description de la
cité des doges pourrait, bien évidemment, occuper des dizaines de pages, mais
je ne dispose ni du talent ni du temps nécessaire pour mener cette tâche à
bien. Il m’est, cependant, impossible d’occulter l’admiration qui m’a saisi
devant les ors de la basilique édifiée pour abriter les restes de saint Marc,
la majesté du campanile(82) ou du
palais Ducal, l’élégance des gondoliers dont j’admirais la dextérité à négocier
aussi bien les prix de leur course que les virages parfois serrés dans le
dédale des canaux. Je découvris également un pont en bois appelé Rialto(83), édifié il y a bien longtemps sur le
Grand Canal, une pure merveille dont la partie centrale est conçue pour
s’escamoter afin de permettre aux embarcations de naviguer sans risquer
d’emporter tabliers et piles. L’atmosphère à la fois humide et fraîche, mais
envoûtante et trépidante de la cité au charme si particulier était, tout
naturellement, propice à la rêverie et je me pris fréquemment à sourire en
songeant que j’apprécierais fort y déambuler en compagnie d’Elena.
Je passai ma seule nuit
vénitienne chez un ami d’enfance de Girolamo Melzi qui m’accueillit comme un
père n’hésitant pas à me conter, à la suite d’un excellent repas, quelques-uns
parmi les plus célèbres épisodes de l’histoire de sa cité : la politique
menée par les doges successifs, les échanges commerciaux avec le Levant ou les
affaires de l’arsenal. Pour ma part, j’évoquai ma jeunesse bourguignonne et mon
arrivée en Italie. La seule consigne qui m’avait été édictée avant mon départ
était de ne jamais évoquer les véritables raisons de ma présence dans la
lagune, ce à quoi je m’étais scrupuleusement attelé malgré l’effet que le vin
de Toscane produisait sur moi. A l’issue d’une nuit reposante et confortable,
j’empruntai la navette fluviale qui me ramena sur la terre ferme(84) où je retrouvai mon cheval qu’un
aubergiste de Mestre avait bien voulu prendre en pension le temps de ma courte
mission. Pressé de retrouver Elena, je forçai l’allure et parvins à rallier
Vaprio d’Adda en seulement trois jours contre quatre à l’aller. (...)
Le
Florentin de Beaune, chapitre 36
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