Extrait
du prologue
J’avais rapidement dû
me rendre à l’évidence : jamais je ne parviendrais à m’affranchir de
l’émotion provoquée par la découverte du manuscrit de Pommard tant que l’énigme
qu’il renferme ne serait pas décryptée. J’avais pourtant commencé par croire qu’en
couchant cette histoire sur le papier je parviendrais à me libérer de la
fascination que Gabrielle Tizedon, cette étoile filante à la fois si
exceptionnelle dans sa détermination et finalement si ordinaire dans sa quête
d’idéal, avait opérée en moi. C’était bien mal connaître la conscience humaine.
Rapidement, la réalité s’était avérée très différente, et pour cause : l’énigme
du manuscrit de Pommard n’était pas résolue. Elle en était peut-être même très
loin et les heures d’introspection entrecoupées de conversations avec Bruno
Chevallier, Paul Dangin ou Christophe Barrère n’avaient fait qu’exacerber la
nécessité pour moi de dénouer les tenants et les aboutissants de l’étonnante aventure
historico-policière à laquelle j’avais bien involontairement été mêlé. Un
sentiment d’inachevé de plus en plus intense avait fini par s’imposer à moi et il
m’était finalement apparu avec clarté que je serais le seul à pouvoir si ce
n’est retrouver Gabrielle, du moins lever un coin de voile sur le mystère de sa
disparition.
Je me souviendrai longtemps
de ce soir de janvier où, de retour après une longue et navrante journée de
travail, j’ai retrouvé mon appartement vidé de toute substance : Gabrielle
avait disparu.
J’ai immédiatement su
qu’elle ne reviendrait pas.
Je ne l’avais
rencontrée qu’un peu plus d’une semaine auparavant, lui procurant pendant cette
courte période le couvert, le gîte, un peu d’écoute, de compréhension, une
certaine dose de tendresse aussi. Que pouvais-je lui offrir de plus ? En
retour, elle était restée très discrète sur son passé et même son présent, ne
me livrant que ce que j’avais besoin de savoir ou ce qu’elle désirait me dire. Je
me souviens que sa présence détenait l’étrange pouvoir de réconforter l’éternel
célibataire que j’étais. J’éprouvais vis-à-vis d’elle le sentiment d’avoir
recueilli une sorte d’oiseau blessé, une écorchée vive, et cette situation
flattait suffisamment mon égo pour que je ferme les yeux sur la réalité de
cette femme déconnectée de toute réalité.
Dépité autant qu’abasourdi
par son départ, je m’étais effondré sur le vieux canapé en cuir aux accoudoirs élimés
qui trônait au milieu de mon studio, ce canapé sur lequel nous avions beaucoup
discuté et même quelques fois fait l’amour. J’étais resté là, immobile, noyé
des heures durant dans mes plus sombres pensées sans même songer à m’alimenter
ou à dormir. Je revoyais Gabrielle tantôt hébétée, tantôt excitée, calme,
meurtrie ou épuisée au point de s’endormir en plein milieu d’une phrase, parfois
sur mon épaule. Elle n’était vraiment pas une fille ordinaire et j’avais
rapidement dû admettre qu’elle me manquait. Lorsque j’avais finalement repris
mes esprits, le jour était levé depuis un moment alors j’étais reparti au
travail comme si de rien n’était – du moins en apparence – occupant mon esprit à
quelque tâche professionnelle avec acharnement et rigueur dans le seul but de
faire fi de la plaie béante laissée par un épilogue trop abrupt bien que
prévisible.
Encore une fois,
Gabrielle nous avait tous pris de vitesse. (...)
|