(...)
De jour,
la cité m’apparut bien plus accueillante que la veille au soir. Il était à
peine dix heures du matin lorsque je mis le nez dehors, mais de nombreux
badauds chaudement emmitouflés dans des manteaux soyeux ou des anoraks bariolés,
bonnet vissé sur la tête, arpentaient déjà les ruelles étonnement lumineuses en
raison de la réverbération de la neige. Je dus slalomer pendant une bonne
vingtaine de minutes entre les tas de neige accumulés dans les ruelles avant de
rejoindre la piazza de la Signoria où je tombai nez à nez avec l’imposante
façade du Palazzo Vecchio. C’était la première fois de ma vie que je voyais un
château fort construit en pleine ville. Avec ses créneaux, ses murs percés de
meurtrières, ses imposantes murailles dépourvues du moindre défaut, formées de
pierres agencées avec une grande rigueur et son immense tour surmontée d’une
grosse horloge, l’édifice était loin de rivaliser en finesse avec l’hôtel-Dieu
de Beaune qui, en comparaison, faisait figure de bijou dans son écrin. Le
Palazzo Vecchio – siège de tant d’intrigues, de conspirations politiques et
d’affaires d’argent pendant près de quatre siècles – avait clairement été conçu
pour impressionner, pour étaler la puissance des Médicis. Le premier choc passé,
je détaillai l’architecture du monument dont il se dégageait une sensation
d’harmonie et de sérénité qui contrastait avec l’aspect guerrier et austère
ressenti de prime abord. L’entrée se trouvait sur la droite, encadrée par deux immenses
statues, dont l’une était une réplique grandeur nature du célèbre David de
Michel-Ange. D’autres statues, plus
petites et protégées par des massifs de fleurs avaient été installées le long
de la façade, peut-être dans le but de conférer un aspect moins agressif au
monument. (...)
Le
Florentin de Beaune, chapitre 2
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Tout en avançant, je
pris conscience que la Bataille d’Anghiari, si elle avait été achevée, aurait
dû couvrir ces murs de vingt mètres de large sur huit mètres de haut. Comment
imaginer une chose pareille quand on savait que les œuvres de Léonard de Vinci
ne dépassaient, généralement, pas deux mètres de haut ? Cette constatation
me fit prendre la mesure de l’intérêt que les historiens aussi bien que les
marchands d’art portaient aux cartons de la fresque inachevée de Léonard. En
jetant un œil sur le mur opposé, je découvris la seconde fresque de Vasari,
sensiblement de la même taille que son vis-à-vis : c’était là que
Michel-Ange aurait dû peindre la Bataille de Cascina. Pour cette
dernière, aucune légende n’était née, l’œuvre de Michel-Ange n’ayant jamais
dépassé le stade de projet, hormis quelques rares esquisses. Nous traversâmes
la salle en diagonale pour stopper devant la fresque située la plus à droite.
- Voici la Bataille
de Marciano, annonça Chris en me désignant l’œuvre située juste au dessus
de nous. Du Vasari on ne peut plus classique.
- C’est beau, rétorquai-je
benoîtement en me massant les cervicales.
- Certes… Mais là n’est
pas la question.
- Quelle est la
question alors ?
- La question est de
savoir ce qui se cache derrière ce panneau.
Devant mon hébétude,
Chris voulut poursuivre ses explications. Il sortit alors de sa poche une
petite paire de jumelles de théâtre qu’il me tendit d’un mouvement que je
trouvai étonnamment brusque.
- Regarde là-haut,
m’ordonna-t-il, au niveau de cette colline verdoyante au fond du paysage.
J’obtempérai,
comprenant que ce n’était pas le moment de le contredire.
- Tu descends ensuite
en ligne droite entre le sommet de la colline et le mamelon situé à sa droite. Un
peu moins d’un mètre plus bas, tu tombes sur un étendard vert.
Mon guide m’accorda
quelques instants pour repérer l’étendard.
- Il y a beaucoup de
soldats, répondis-je sans comprendre où il voulait en venir. Je le vois ! Avec
des hommes vêtus d’un chapeau rouge.
- Tu es trop bas.
Remonte un peu plus haut. L’étendard dont je te parle est plus petit. Il n’y a
que des hommes avec des casques autour. Juste à gauche de la petite masse
blanche allongée, une sorte de tenture roulée…
J’avais mal aux yeux à
force de scruter la fresque dont les couleurs finissaient par se mélanger en
raison du faible éclairage de la pièce et de la patine du temps.
- Cherche et tu
trouveras ! me lança-t-il avec un air martial.
J’en avais assez de ce
petit jeu que je trouvais parfaitement stupide. Je ne savais pas où Chris
voulait m’emmener et je n’appréciais pas, non plus, le ton qu’il employait pour
me parler.
- CERCA TROVA, qui cherche trouve
en français, précisa Chris sur un ton bien plus paisible. C’est ce qui est
inscrit sur l’étendard… C’est écrit tout petit… Deux centimètres et demi de
long.
A cet instant, je crus
apercevoir des signes peints en blanc sur un petit drapeau vert. J’avais si mal
aux yeux qu’il m’était impossible de faire la différence entre de véritables
lettres, de simples traits ou des craquelures.
- Je veux bien te
croire, admis-je, abandonnant tout espoir de parvenir à lire les deux mots que
Chris prétendait inscrits.
- Après tout, nous
avons mis plus de quatre cents ans pour trouver cet indice, alors pas étonnant
que tu n’y parviennes pas en seulement quelques secondes, même avec une paire
de jumelles. (...)
Le
Florentin de Beaune, chapitre 3
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