(...)
Mon regard se tourna dans
la direction d’où arrivait la calèche : cette dernière venait de traverser
la rue – à la fois passage, placette et voie piétonne – que j’aperçus à ma
droite et qui devait n’être autre que le piazzale des Offices. Je me dirigeai
fébrilement dans sa direction, manquant glisser sur des paquets de neige à
plusieurs reprises. Un instant plus tard, je pénétrai dans un endroit
totalement indescriptible parce qu’inédit. Long d’environ deux cents mètres, ce
lieu qui tenait effectivement autant d’une cour intérieure que d’une rue était
ceinturé sur trois côtés par un haut bâtiment de construction plus récente que
le Palazzo Vecchio : il s’agissait du musée des Offices. Du côté ouvert,
on pénétrait sur le piazzale par une large ouverture délimitée, à gauche, par
une arche surmontée du corridor de Vasari et, à droite, par la loggia dei
Lanzi, une sorte d’auvent démesuré ouvert de jour comme de nuit et présentant une
collection de statuaires de grande valeur. A l’autre extrémité du piazzale, une
triple arche à colonnes doriques permettait de cheminer sous le bâtiment du
musée pour rejoindre les rives de l’Arno et, plus loin, le Ponte Vecchio.
L’entrée du musée se situait au rez-de-chaussée de l’aile gauche, sous un
passage abrité qui courait le long du corps de bâtiment. Je repérai
immédiatement les statues des célébrités toscanes encastrées dans chaque pilier
à base carrée qui longeait le piazzale. Il n’y avait aucun doute, c’était bien
là que la vidéo avait été tournée. Les statues étaient séparées les unes des
autres d’une dizaine de mètres environ. J’avançai jusqu’à la septième niche,
celle consacrée à Léon Batista Alberti. Je commençai à fixer intensément du
regard le visage de l’artiste en espérant peut-être que le marbre allait finir
par me livrer son secret. Mais ni le parchemin qu’Alberti tenait, ni la bouche
finement sculptée, ni même la main armée d’un crayon ne m’inspira quoi que ce fût.
Je poursuivis alors mon chemin en direction de Léonard de Vinci : même
mutisme de la part d’un homme pourtant si prolixe en son temps. Plus loin, je fis
de nouveau halte à la hauteur de Michel-Ange. Le visage du sculpteur, dirigé
vers le sol, bien que s’avérant le plus expressif des trois, ne me souffla rien
de plus. Je soupirai avant de faire volte-face. Qu’avais-je à attendre de
statues ? Probablement rien ! De plus en plus de groupes en file
indienne ou de promeneurs solitaires commençaient à arpenter le pavé, rendant
la visibilité des lieux moins aisée. Je devais sans plus tarder essayer
d’identifier l’endroit depuis lequel la vidéo volée de Gabrielle avait été tournée.
La tâche ne devrait pas être trop compliquée, il n’existait pas des dizaines
d’endroits où se dissimuler. Je sortis mon propre téléphone portable que je paramétrai
en mode vidéo avant d’aller me placer derrière l’un des piliers situé de
l’autre côté de la place. J’entrepris alors de filmer un couple qui passait par
là afin de vérifier que j’étais au bon endroit. Deux policiers passèrent près
de moi, l’air suspicieux. Je leur souris et ils passèrent leur chemin.
Recentrant mon attention sur ma prise de vue, je constatai vite que le résultat
était particulièrement concluant : après m’être repassé les deux films –
celui de Gabrielle et le mien - l’un derrière l’autre, je conclus que le voyeur
n’aurait pu se trouver ailleurs. Par acquit de conscience, j’inspectai le
pilier et ses alentours. L’inconnu n’avait probablement pas laissé d’indice,
mais savait-on jamais ? Sans surprise, je constatai qu’il n’y avait rien,
exception faite de quelques tentatives de graffitis, deux chewing-gums collés
par terre et un autocollant vantant les mérites d’une enseigne de location de
voitures. Cela aurait sans doute été trop simple. (...)
Le
Florentin de Beaune, chapitre 2
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